Les sols gelés de l'Arctique se sont invités, mardi 27 novembre, dans les sables brûlants du Qatar. A Doha, où se tient jusqu'au 8 décembre la négociation internationale sur le climat, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a sonné l'alerte sur la menace que fait peser la fonte du pergélisol sur le réchauffement.
Véritable bombe à retardement, la fonte de ce permafrost, qui représente environ un quart de la surface des terres de l'hémisphère Nord, doit être désormais prise en compte dans les modèles climatiques, a recommandé mardi, à Doha, Kevin Schaefer, chercheur à l'Université du Colorado et auteur principal d'un rapport sur le sujet pour le PNUE.
Avec la hausse rapide des températures dans les régions arctiques, le permafrost "est déjà en train de fondre", a souligné le chercheur. "Le permafrost est l'une des clefs de l'avenir de notre planète (...). Son impact potentiel sur le climat, les écosystèmes et les infrastructures a été négligé pendant trop longtemps", a déclaré dans un communiqué Achim Steiner, directeur général du PNUE.
"PROCESSUS IRRÉVERSIBLE"
Au niveau mondial, le permafrost renferme quelque 1 700 milliards de tonnes de carbone, soit environ le double du CO2 déjà présent dans l'atmosphère, a rappelé M. Schaefer. Or si cette matière organique gelée fond, elle relâche lentement tout le carbone qui y a été accumulé et ainsi "neutralisé" au fil des siècles.
"Une fois que ça a commencé à fondre, le processus est irréversible. Il n'y aucun moyen d'y remettre le carbone" qui s'en est dégagé. "Et ce processus persiste durant des siècles", car la matière organique reste très froide et se décompose lentement, a prévenu le scientifique.
Problème : cet excès de CO2 rejeté dans l'atmosphère n'a jusqu'à présent pas été pris en compte dans les projections sur le réchauffement climatique qui font l'objet de négociations au niveau mondial. Pire : "La plupart des modèles estiment au contraire que le pergélisol va globalement absorber du carbone de l'atmosphère et non en rejeter", expliquait Gerhard Krinner, chercheur au Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l'environnement, dans Le Monde du 17 février.
RÉSEAUX DE SURVEILLANCE
C'est d'autant plus préoccupant que la température des zones arctiques et alpines abritant ce permafrost devrait augmenter deux fois plus rapidement que sur l'ensemble du globe, insiste le rapport remis au PNUE. Une hausse mondiale de 3°C en moyenne aboutirait donc à une augmentation de 6°C dans l'Arctique, ce qui se traduirait par la disparition de 30 % à 85 % du permafrost proche de la surface.
La fonte du permafrost produirait ainsi l'équivalent de 43 à 135 milliards de tonne de CO2 supplémentaire d'ici à 2100, soit 39 % des émissions totales à cette date. Par conséquent, le PNUE recommande au Groupe d'experts sur l'évolution du climat (Giec) de prendre en compte spécifiquement l'impact croissant du permafrost dans le réchauffement. Il demande également la création de réseaux nationaux de surveillance du permafrost dans tous les pays concernés, en particulier la Russie, le Canada, les Etats-Unis et la Chine.
La fonte du permafrost risque aussi de se traduire par des feux de forêts plus fréquents, des glissements de terrain et autres catastrophes comme l'effondrement de routes, de lignes électriques ou d'oléoducs, avertit le rapport. Rien qu'en Alaska, le réchauffement pourrait alourdir la facture des infrastructures publiques de plus de 6 milliards de dollars d'ici à 2030.