C’est la grande tendance de l’été. Pour les décideurs de l’automobile et du transport, le véhicule de demain sera autonome ou ne sera pas. Tous les grands constructeurs de voitures ont leur programme, la Google Car sans conducteur sillonne les routes de Californie, Uber a démarré des tests à Pittsburgh (Pennsylvanie), Singapour fait rouler ses VTC sans chauffeur, et même Airbus travaille très sérieusement sur des projets de taxis volants sans pilote.
Dans cet univers en ébullition, il existe une catégorie de véhicules sans conducteur qui a tranquillement pris une longueur d’avance : les minibus électriques. Aujourd’hui, quelques centaines de ces engins conçus pour le transport dit « du dernier kilomètre » sont réellement en service. Ils transportent du public, pas seulement des ingénieurs et des happy few. Ils roulent seuls dans des sites fermés, mais aussi sur des routes accessibles aux piétons, aux vélos et aux voitures. Ils engrangent kilomètres et expérience.
Projet pilote à Lyon Confluence
Illustration à Lyon, ce week-end, où pour la première fois dans une grande ville française et sur une aussi longue durée – plus d’un an – des navettes autonomes, accessibles à tous, vont circuler sur une voie publique ouverte. A partir de samedi 3 septembre, deux petits bus (longs de 5 mètres), bourrés de technologie et de capteurs, desserviront le quartier de la Confluence, situé sur la presqu’île lyonnaise, et qui regroupe 850 entreprises et 15 000 salariés.
Les véhicules sont fabriqués par l’entreprise française Navya et exploités par Keolis, filiale de la SNCF, pour le compte du Sytral, l’autorité organisatrice de transports du Rhône et du Grand Lyon. De 7 h 30 à 19 h 30, des navettes de 15 places vont parcourir 1,3 kilomètre entre la station de tramway et l’entrée des bureaux, avec une fréquence de dix minutes entre deux passages aux heures de pointe. « En matière de transport public autonome sur route ouverte, c’est l’opération la plus étendue au monde », se félicite Laurent Kocher, directeur du marketing et de l’innovation de Keolis.
Réglementation oblige, un « groom » de Keolis, susceptible de prendre le volant à tout moment, est présent dans la navette, qui roule à 25 kilomètres/heure au maximum sur une voie où circulent passants, cyclistes et quelques automobiles. Mais cette présence est en pratique inutile, la navette, face à un obstacle même mouvant, est capable sans aide humaine de le repérer, l’éviter, le contourner et marquer l’arrêt.
Eclosion planétaire
L’expérimentation lyonnaise sur voie ouverte est sans précédent par sa durée mais elle n’est pas pionnière. Dès 2006, pour la première fois en France, des minibus autonomes sont apparus dans le centre-ville de La Rochelle (Charente-Maritime). La ville a renouvelé l’expérience en 2011 et 2015. Depuis, c’est l’éclosion planétaire. Plusieurs dizaines de projets ou de démonstrations en conditions réelles ont eu lieu et se prolongent un peu partout dans des villes pilotes à travers le monde.
Quelques exemples : des centaines de « commuters » se rendent quotidiennement au quartier d’affaires de Rivium, à Rotterdam (Pays-Bas), par navette autonome ; les habitants de Sion, en Suisse, peuvent emprunter un coquet petit bus jaune sans chauffeur ; les communes finlandaises de Tampere, Espoo, et Helsinki, la capitale, testent des services équivalents. Des projets pilotes sont en cours de démarrage à Perth (Australie) et en Californie, dans le « business park » de Bishop Ranch, non loin de San Francisco.
Comme toujours, Singapour se distingue. La ville, tête chercheuse en matière de transport, propose aux visiteurs du parc botanique Gardens by the Bay de s’y déplacer dans un « driverless shuttle ». Les militaires singapouriens vont et viennent, grâce à des navettes autonomes, dans plusieurs bases et casernes de la cité-Etat.
La France n’est pas en reste. Avant le projet lyonnais, il y a eu donc La Rochelle, mais aussi un test réalisé par l’opérateur de transport Transdev au printemps, pendant plusieurs mois, dans l’enceinte du centre de recherche et développement de Michelin à Ladoux (Puy-de-Dôme). Transdev, toujours, exploite six navettes Navya pour le compte d’EDF à l’intérieur de la centrale nucléaire de Civaux (Vienne). Et là, il ne s’agit pas d’un essai : les minibus autonomes circulent dans le cadre d’une classique exploitation commerciale.
A Paris, la RATP a acquis des minibus pour procéder elle aussi à des tests. Début 2017, elle fera fonctionner deux navettes sur le site du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Saclay (Essonne).
Une navette très prudente
« Si les navettes sortent maintenant, c’est parce que les technologies sont prêtes mais surtout parce que ces véhicules sont simples à expérimenter grandeur nature », explique Yann Leriche, directeur de la performance de Transdev. C’est aussi l’avis d’Andrew Yan-Tak Ng, chef scientifique de Baidu, le moteur de recherche chinois qui planche sur le minibus autonome, se distinguant de son équivalent américain Google, qui a mis uniquement l’accent sur la voiture individuelle.
« Je pense qu’il est plus prometteur de commencer avec des navettes ou des bus qui roulent sur un trajet ou en un lieu limité, connu et maîtrisé, indiquait M. Yan-Tak Ng dans une interview au site américain Quora en janvier. Cette méthode permet d’agrandir graduellement le territoire sur lequel les navettes autonomes rouleront en toute sécurité. »
Les opérateurs de transport français, Keolis, Transdev, RATP, l’ont bien compris. Ils font du véhicule autonome un des axes de leur stratégie de modernisation numérique. Mais, avant de les déployer, ils ont besoin de retours d’expérience. C’est le but principal de ces projets à durée limitée. « A Lyon Confluence, nous allons engranger un maximum de données », confirme Pascal Jacquesson, directeur général de Keolis Lyon.
L’un des lieux les plus avancés pour examiner en conditions réelles l’exploitation d’un minibus autonome est la centrale nucléaire de Civaux (Vienne). Là, la navette en site fermé et privé n’est pas soumise au code de la route et elle fonctionne en réelle autonomie, sans aucun personnel à bord. « C’est un formidable laboratoire des usages, de la technologie et de la psychologie des passagers en mode autonome, raconte Yann Leriche. Nous avons pu constater, par exemple, que certaines manœuvres de sécurité pouvaient être interprétées par les usagers comme inquiétantes. » En effet, la navette, réglée sur un mode très prudent, a tendance à s’arrêter lorsqu’elle détecte le moindre petit mouvement sur le bas-côté. Ces haltes incomprises par les passagers ont plus tendance à les inquiéter qu’à les rassurer.
Les Français à la manœuvre
Dans la maîtrise technologique du minibus sans conducteur, bonne nouvelle, la « French Tech » tient le haut du pavé. Sur les trois principaux fournisseurs de ce marché encore très étroit, deux sont français : Navya, start-up lyonnaise, conceptrice du modèle Arma qui roulera à Lyon, et Easymile, société toulousaine associée à Ligier, qui commercialise la navette EZ10. Le troisième acteur le plus avancé est américain : Local Motors, basé à Phoenix, en Arizona, qui fabrique la carrosserie de ses minibus Olli par impression 3D.
Ce joli succès des ingénieurs et informaticiens tricolores couronne aussi une forme de volontarisme industriel. Les deux start-up de la navette autonome ont éclos avec le soutien du projet européen CityMobil et du programme français de réindustrialisation baptisé « Nouvelle France industrielle », créé par Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, et prolongé par Emmanuel Macron.